mercredi 25 juin 2014

GAFA/BATQX : nouveaux territoires, les Indes Gafantes, en voie de balkanisation








Rappel d'acronymes à la mode :
  • BAGEL: (Ali)baba, Amazon, Google, Expedia, LinkedIn
  • BAT : Baidu, Alibaba, Tencent
  • BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi
  • BATQX : Baidu, Alibaba, Tencent, Qihoo, Xiaomi
  • FANG: Facebook, Amazon, Netflix, Google
  • GAFA: Google, Apple, Facebook, Amazon
  • GAFAM: Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft
  • NATU: Netflix, AirBnb, Tesla, Uber
  • TUNA: Tesla, Uber, Netflix, AirBnb


Une émission Du grain à moudre sur France Culture porte le titre provoquant "Google est-il un projet politique ?". Politique, on l'oublie parfois, vient de polis, la cité. Dans ce monde qui se dématérialise, du moins en budget, la donnée, privée, publique, quand elle est offerte gratuitement ou gracieusement aux fameux GAFA/GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, en ajoutant Microsoft qui voudrait en être, en en oubliant d'autres, comme IBM), donne progressivement accès à ces quatre "grands américains" aux fonctions régaliennes de l’État. C'est l'histoire continuée des Indes galantes.Et ce n'est que le début, avec les trois BAT qui arrivent de l'Empire chinois. Les BAT, ce sont Baidu, Alibaba, Tencent. Ou peut-être les quatre X-BAT, ou ABTX, ou BATX, si l'on ajoute Xiaomi. Voire (2015/07/15) les cinq BATQX (Baidu, Alibaba, Tencent, Qihoo et Xiaomi).


Le séminaire Études stratégiques : les enjeux de la recherche stratégique française s'est tenu le mercredi 21 mai 2014. Fourni d'un CDRom de notes techniques et stratégiques passionnantes (stratégie russe, Asie, usages cybernétiques dans le proche Orient, etc.), et avec un programme très riche, résumé par ses tables rondes et ses intervenants ci-après.

Le seul point que je souhaite mettre en relief est une remarque en incise de François-Bernard Huyghe : il remarquait que les grandes entreprises numériques (Goggle, Amazon, Facebook, Apple, ou G.A.F.A, d'où l'adjectif "GAFAntes"), qu'on aurait pu dire "sans territoires", développent des capacités diplomatiques, voire des capacités militaires "comme au temps de la Compagnie des Indes".

Une Compagnie des Indes : voici à la fois un signal faible et une concordance des temps.


Je me rappelle d'une conférence organisée par la section IEEE France il y a une dizaine d'années. Probablement le 21 mars 2006, "Les normes de compression des images, de JPEG à MPEG4", par Bernard Marti, ancien Directeur de la Normalisation du groupe France Télécom. MPEG4 est l'acronyme d'un format de compression de la vidéo numérique, le genre de norme sur laquelle des grandes compagnies se mettent d'accord pour avoir des produits (supports CD/DVD, téléviseurs, enregistreurs) interopérables : que le film X (et pas "un film X") soit lisible sur le décodeur Y. Et tandis que les pays "occidentaux développés" et leurs compagnies se mettaient d'accord autour de MPEG2, MPEG4, un autre pays, l'usine du monde, qui fabriquait l'essentiel des supports CD/DVD, téléviseurs, enregistreurs, avec un marché intérieur gigantesque, développait un autre standard (concurrent) de compression vidéo : l'Audio Video Standard (AVS). Le développement de ce standard de compression "Made in China", dit cette page wikipédia, aurait été initié par le gouvernement de la République Populaire de Chine. L'aubaine, maîtriser à la fois le matériel et le logiciel. Voila pour le fond technique. On raconte alors que M. Bill Gates, alors patron de Microsoft, serait allé lui-même en mission diplomatique en Chine pour négocier l'adoption des standard MPEG (contre l'AVS). Cette information est assez peu recoupable (ma mémoire), alors avec des pincettes. Allez, disons le G.A.F.A.M., incluant Microsoft, ça fait plaisir à Bill.
Cependant, il y a dix ans encore, flottait l'impression éternelle que l'Internet dépassait et re-dépasserait les territoires, abolissait les frontières. Aujourd'hui, car le monde numérique change vite, flotte un autre parfum de balkanisation (mot inventé en 1918) de l'Internet. Un terme portant sur le morcellement de territoires physiques, géographiques, politiques s'applique désormais à la réalité presque intangible de l'Internet. Les termes "internet balkanization" ou "cyberbalkanization", le joli mot-valise de splinternet (splinter : esquille, écharde) a fait son apparition. Il recouvre les différents moyens logiciels ou matériels de blocage et de contrôle rétablis au niveau de certains états. La grande cybermuraille de Chine (Golden Shield Project, ou Great Firewall of China) est l'exemple le plus courant. Les remous de l'affaire Snowden, et l'espionnage (disons la surveillance vigilante) des communications par les États-Unis, avaient conduit au Brésil à un projet de loi imposant le stockage sur le sol brésilien des données concernant le Brésil, ou du moins la soumission des Google et autres Facebook aux lois du pays pour les données locales. Cette loi semble pour l'instant en voie d'abandon. [MAJ20140705 : En revanche, la chambre basse du Parlement russe, la Douma, veut obliger les acteurs étrangers de l'Internet à stocker les données de leurs utilisateurs sur le territoire russe, loi qui pourrait entrer en application en 2016 (, , ou )] Cela rappelle que les projets de Google d'avoir des datacenters off-shore, hormis l'idée d'avoir un refroidissement naturel par l'eau fraîche, étaient suspectés de vouloir se placer loin de certaines limites territoriales, et de s'affranchir des vilaines lois contraignantes des vieux états. Suspicion douteuse, en fait.

Donc d'un côté, l'Union européenne (qui a quand même une vieille base territoriale) vient de devenir propriétaire (ainsi que producteur et financeur) de son premier "bâtiment" : c'est Galileo. Des satellites, certes, mais surtout un ensemble de services de positionnement théoriquement sous contrôle civil. L'Europe, pour sa première maison, se dématérialise.

De l'autre Google, à tout seigneur tout honneur, qui a acquis Boston Dynamics (Google Buys Scary Military Robot Maker) fin 2013, avec ses robots, comme Cheetah qui dépasse Husain Bolt, Amazon et ses drônes. Il est en passe d'acquérir une start-up d'imagerie satellitaire, SkyBox. Une compagnie de satellites, des robots tueurs, si ça ne vous rappelle pas le Skynet de Terminator... Don't be evil qu'ils disaient, sinon vous aller le regretter. Et dans Android sera semé partout, selon la vision de Google. Apple et Google, investissant massivement dans l'automobile et la santé, jusqu'à vouloir tuer la mort (avec Calico). Si Exxon a vaguement la taille de la Taille-lande, les revenus de Google furent supérieur en 2011 aux 28 pays les plus pauvres (voir ici). Et maintenant, ils viennent s'abreuver directement sur nos terroirs viticoles, en voulant déléguer les nouveaux noms de domaine en .vin ou .wine. Yes l'ICANN.

L'on voit que les GAFA, ou GAFAM, ainsi que leurs séides numériques, se projettent joliment dans le monde physique.

Une compagnie des Indes (orientales, occidentales) gérait le commerce entre le centre européen colonisateur et ses colonies. Cela concerne les Pays-Bas, France, Angleterre, ainsi que par exemple la Suède ou le Danemark. La compagnie britannique des Indes reçut de Charles II (1670) le droit d'acquérir de nouveaux territoires autonomes, de frapper de la monnaie, de commander des troupes armées, d'avoir une activité diplomatique et d'exercer la justice sur ses territoires. La compagnie hollandaise (une des plus grosses entreprises capitalistiques de l'histoire) envoya des vaisseaux lourdement armés, non pour l'annexion territoriale, pour pour lutter contre les comptoirs espagnols et portugais. Dans la française, on retrouve le vice-Amiral Ganteaume. Le rôle de la compagnie suédoise "dépasse toutefois le cadre purement commercial puisqu'elle touche aussi aux domaines diplomatiques".

Commerce et puissance militaire peuvent donc faire bon ménage, dans le monde réel comme dans le monde virtuel. Dans ce qui fait la souveraineté d'un état, la possibilité de battre monnaie est importante (où l'on voit que l'Europe...). Récemment dans le monde immatériel, BitCoin affolait les réseaux en battant monnaie virtuelle (BitCoin étant devenu ainsi un peu plus souverain que la France), mais prenait substance (au Canada par exemple). Mais quel est le nouvel or : les cartes SIM des appareils mobiles (où l'on retrouve les Google, Amazon et Apple, Facebook frôlant le flop) ? Les données et le "big data science" ? Les flux numériques (son, image et vidéo ?). Cette quête mènera-t-elle à la fin de l'Internet tel que certains l'auront connus, espéré, ou souhaité !Car ce n'est pas fini. Après les états, après les e-entreprises, des groupes organisés prouvent qu'ils deviennent plus puissant que des états.
Sécurité : Des dizaines de groupes de cybercriminels auraient atteint un niveau de sophistication tel que leurs capacités techniques sont équivalentes à celles d'un État-nation. Ces pirates vendent leurs compétences pour construire des attaques complexes qui peuvent pratiquement casser n'importe quelle cyberdéfense.
Tout cela n'est guère sérieux, juste une marche aléatoire dans les traces faibles du futur de l'internet et des technologies numériques, et de son emprise possible dans le monde réel. IRL. Pour un sujet moins régalien, le livre, voir "Amazon, l'algorithme contre le libraire". Sécurité, armée, santé (jusqu'à la vie éternelle), éducation (MOOC, etc.), infrastructure (téléphonie, internet, réseau de ballons), cartographie. Et quid d'une force de frappe un peu hors des radars, comme Baidu ("le Google chinois") ? Qui a pris Andrew Ng (une des sommités récentes du data science) comme directeur technique, pour superviser les recherches en apprentissage automatique (ou machine learning) ? Dans ce cas, l'état sous-jacent est assez clairement en soutien de cette stratégie d'influence. Winter is coming. Le prochain GAFA sera peut-être chinois, et s'appellera BAT, pour Baidu, Alibaba, Tencent ? Ou BATX, pour Baidu, AliBaba, Tencent et Xiaomi. Ce n'est plus les Indes Gafantes, c'est peut-être la nouvelle route de la soie. Et l'on sait comme l'intelligence économique et la route de la soie sont reliés.

On avait dit le programme, au départ ?

TABLE RONDE 1. ENJEUX DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE EN MATIERE DE RECHERCHE STRATEGIQUE
Philippe ERRERA (ministère de la défense), Frédéric CHARILLON (Institut de recherche stratégique de l’École militaire, IRSEM), David CVACH (Centre d’analyse, de prévision et de stratégie, CAPS, ministère des Affaires étrangères), Xavier PASCO (Fondation pour la recherche stratégique), Dominique DAVID (Institut français des relations internationales, IFRI), Jean JOANA (Université de Montpellier 1), Jean-Jacques ROCHE (Institut des hautes études de défense nationale, IHEDN)

TABLE RONDE 2. ENJEUX CYBER
François-Bernard HUYGHE (Institut de Relations Internationales et Stratégiques, IRIS), Olivier DANINO, (Institut français d’analyse stratégique, IFAS), Guillaume TISSIER (Compagnie européenne d’intelligence stratégique, CEIS), Frédérick DOUZET (Université Paris VIII)

TABLE RONDE 3. ENJEUX AFRICAINS
Col. Xavier COLLIGNON (Délégation aux affaires stratégiques, DAS, ministère de la Défense), Clélie NALLET (Les Afriques dans le Monde, LAM), Sonia LE GOURIELLEC (Université Paris-V Descartes), Raphaël ROSSIGNOL (Ecole des hautes études en sciences sociales, EHESS)

TABLE RONDE 4. ENJEUX ASIATIQUES
Benoît DE TREGLODE (Délégation aux affaires stratégiques, DAS, ministère de la Défense), Jean-Pierre CABESTAN (Université baptiste de Hong-Kong), Valérie NIQUET (Fondation pour la recherche stratégique, FRS), Delphine ALLES (Université de Paris-Est Créteil)